Side to side (Cleo)

Jayden s’était réveillé en grognant de douleur, mais ne s’était pas plaint. Ça aurait pu être pire, il aurait pu passer une énième journée dans cet entrepôt. Il en est sorti, ils s’en sont sortis, et ça devrait suffire. La douche qu’il expérimenta ce matin-là, fut probablement l’une des meilleures de toute sa vie. L’eau sur sa peau lui fit un bien fou, n’effaçait pas les nombreuses contusions sur celle-ci mais avait le mérite de le ressourcer. Il ne voulait pas perdre une minute de plus. La veille, Reese lui avait dit qu’elle avait confié Olivia a une des voisines. Pour autant, il ne comptait pas gêner plus longtemps. Il se sentait responsable de la jeune fille, qu’il considérait à présent comme un membre de sa petite famille. Il ne sait pas pourquoi, il a eu un déclic avec cette dernière. Il s’était promis de ne pas s’attacher, à qui que ce soit, sur ce camp, de peur de perdre à nouveau quelqu’un qui lui était cher… mais il n’a pas résisté. Il ne peut pas être un robot, même s’il le voulait. Il a bien réalisé qu’il se sentait plus vivant que jamais depuis qu’il s’était laissé aller à faire tomber sa garde. Moins distant, plus présent affectueusement. Ça avait le mérite de lui donner une raison d’avancer, malgré tous les obstacles devant eux. Alors oui, le monde semblait encore plus dangereux à présent mais il en valait la peine. Il savait que sa sœur avait une vision bien plus sombre, mais le jeune homme n’était clairement pas prêt à quitter Astoria. A quoi bon ? Où est-ce qu’ils iraient ? Ce serait absurde.

Il attendit une heure relativement raisonnable. Après tout, il se doutait que débarquer à l’aube ne serait peut-être pas approprié. Faut dire que tout le monde ne souffrait pas d’insomnies. Il pouvait tenir en dormant que très peu. Qui plus est, avec tout ce qu’il s’était passé sur le camp, on pouvait comprendre une certaine exténuation. Pourtant, il y avait tellement à faire que Jay était certain qu’ils ne chômeront pas bien longtemps. Pour le peu qu’il avait vu, on parlait de ressources manquantes, en plus de nombreux blessés. Mais pour l’heure, le ravitailleur se contentait de sortir de chez lui, pour attendre la maison au numéro 9. Il sonna une fois, et attendit impatiemment qu’on veuille bien lui ouvrir. Lorsque la porte s’entrouvrit, Jay racla sa gorge avant de prendre la parole, dans un léger sourire. « Hey… j’suis Jay, et ma sœur Reese a déposé Olivia chez vous hier… ? » Dit-il, en posant son regard sur la jeune femme en face de lui.

Le cauchemar était fini. La prise d'otage qui avait eu lieu s'était soldée par plusieurs morts et de nombreux blessés. Ce n'était pas la première fois qu'une horreur se produisait à Astoria depuis que Cleo était arrivé, mais elle était chaque fois plus terrorisée et plus attristée. Il était pourtant évident qu'ils n'étaient pas les seuls survivants dans ce monde, et que la ville qu'ils avaient contribué à construire pouvait faire des envieux. Durant cette attaque, elle avait perdu Clark. Elle s'était attachée à cet homme, bien qu'elle ne le connaissait pas énormément. Il représentait un mystère pour l'institutrice, elle ne parvenait pas vraiment à le cerner à cause de la barrière qu'il mettait entre eux. Néanmoins, il avait commencé à baisser sa garde et semblait même apprécier la jeune femme. Aujourd'hui, il n'était plus là et avait laissé derrière lui sa fille, la petite Maya que Cleo adorait. Elle avait d'ailleurs récupéré l'enfant, tout naturellement. La pauvre petite était désormais orpheline, privée de sa mère et de son père, il était donc inimaginable pour l'institutrice de la laisser tomber. Elle se devait de faire de son mieux pour la protéger et atténuer sa douleur, bien que ce n'était absolument pas une mission aisée. Elle ne savait pas de façon exacte ce qu'il s'était passé pour le papa de la petite, celle-ci refusant de s'exprimer. Cleo n'avait d'ailleurs, pour le moment, pas pu savoir avec qui se trouvait l'enfant durant l'attaque, peut être avait-elle vu son papa décéder devant elle ? Elle ne cherchait pas à lui poser de questions, tout ça était encore beaucoup trop frais. Elle se contenterait de l'éduquer, au mieux, pour honorer son père, et de lui offrir le meilleur.

La veille, sa voisine Reese était venue la voir. Elle lui avait demandé si elle pouvait s'occuper d'Olivia, la petite fille qu'avait récupéré son frère Jayden. L'institutrice n'avait pas posé de questions et s'était contentée d'accepter volontiers de s'occuper de cette petite. Cleo adorait les enfants, d'où le poste qui lui avait été attribué. Elle était d'une nature serviable, rendre service était un vrai plaisir pour elle. De plus, elle s'imaginait que, malgré le jeune âge de la petite Olivia, elle pourrait tenir compagnie à Maya et que ça lui ferait surement du bien. Ce matin-là, Cleo s'était réveillée tôt. Elle avait pris son petit déjeuner, un simple café contrairement à ce qu'elle déjeunait d'habitude, mais elle n'avait plus très faim depuis les récents événements. Les deux fillettes s'étaient réveillées tôt, la question étant plutôt de savoir si elles avaient réellement dormi. Cleo leur avait servi à elles aussi leur petit déjeuner et les avaient ensuite aidées à s'habiller. Il n'y avait pas de réel programme pour la journée, un peu de lecture et des activités d'intérieur, Cleo évitant de sortir ces derniers jours, surtout avec ces deux enfants qui n'étaient pas les siens. Elle voulait éviter un nouveau drame.

Alors qu'elle était entrain de faire la vaisselle pendant que les deux fillettes s'occupaient à l'étage, quelqu'un sonna à la porte. La jeune femme sursauta. Elle était très tendue en ce moment. Elle regarda par la fenêtre de la cuisine et reconnut son voisin, Jayden. Elle se douta immédiatement de la raison de sa visite. Elle alla ouvrir la porte.

« Bonjour, c'est exact, Olivia est à l'étage avec Maya. »  Elle lui adressa un sourire amical. Peut être qu'il ne connaissait pas Maya, mais elle ne s'était pas posé la question. Elle ouvrit la porte en grand et lui fit signe d'entrer, afin de garder la chaleur apaisante de la maison à l'intérieur. « Vous voulez que j'aille chercher la petite tout de suite ou peut être que vous voulez boire quelque chose avant ? » Elle ne pouvait s'empêcher d'être serviable et une bonne hôtesse de maison, malgré les atrocités qu'ils venaient de vivre.

Jayden n’avait pas été très emballé à l’idée de savoir la jeune fille chez quelqu’un d’autre… mais Jay’ n’avait pas été là pour s’en occuper, alors forcément, il s’était dit qu’il n’était pas en position pour faire la moindre remarque. S’il n’était pas parti, ce jour-là, les choses auraient été différentes. En même temps, il évitait de regarder en arrière, se disant, finalement, que ça ne servait à rien. A quoi bon se torturer ? Il aurait peut-être fait partie des blessés, ou pire encore, des décédés sur le campement. Il avait eu une brève explication de ce qu’il s’était passé dans le coin depuis qu’ils avaient été kidnappés par le camp Echo, et avait compris qu’ils n’avaient été qu’une pauvre diversion, le temps de pouvoir semer le chaos au sein d’Astoria. Une énième raison pour crée ce sentiment d’insécurité que la plupart des survivants cherchaient à oublier, à travers ces clôtures. Ils aspiraient tous à une vie qui pourrait ressembler à un semblant de normalité. Force est de constater que la chose n’est pas si facile. Il y avait toujours un obstacle, une tragédie qui venait les frapper, comme une énième claque dans la tronche. Certains étaient anesthésiés par la douleur, tandis que d’autres continuaient d’espérer et par la même occasion : morfler.

Devant la porte, le ravitailleur attendit patiemment qu’on veuille bien lui ouvrir. C’est avec une certaine maladresse qu’il s’adressait à la jeune femme, ne sachant pas s’il était réellement au bon endroit ou non mais sa réponse le rassura rapidement. Il esquissa un léger sourire, et hocha la tête. Il ignorait qui était Maya mais supposait qu’elle parlait de sa fille. Il s’avança dans l’entrée, et reposa son attention sur son interlocutrice qui lui proposait quelque chose à boire. « Oh et bien…pourquoi pas… enfin, j’aimerais pas m’imposer, si vous avez d’autres choses à faire… y a pas de problème. » Dit-il, en passant une main derrière sa nuque. Il détestait déranger, et ne voulait pas abuser de la générosité de la jeune femme. « En tout cas, merci, pour la petite, c’est sympa de votre part. » Ajoutait Jayden, sur un ton sincère.

Cleo aimait rendre service, et elle adorait les enfants. Le moment passé entre Maya et Olivia ferait certainement beaucoup de bien à la fillette que l'institutrice avait récupéré quelques temps auparavant. Elle faisait de son mieux pour l'occuper, afin que ses pensées aillent moins vers le décès de son père, et surtout, elle essayait de ne pas se montrer trop envahissante. Elle n'avait jamais eu à faire face à une telle situation et devait improviser, faire preuve de bon sens pour ne pas brusquer la petite. Il s'agissait vraiment de choisir les bons mots. C'était quelque peu épuisant. De plus, entre sa nouvelle responsabilité, son travail quotidien avec les autres enfants d'Astoria et ce que chacun venait de traverser, elle n'avait plus beaucoup de temps pour elle. Elle n'avait pas discuté avec un adulte depuis plusieurs jours, c'est donc pour cette raison qu'elle avait sauté sur l'occasion d'inviter son voisin à entrer et boire quelque chose en sa compagnie. Elle esquissa un sourire lorsqu'il répondit à sa question. Elle n'avait pas grand chose de mieux à faire, au contraire, elle apprécierait vraiment de pouvoir faire la connaissance de cet homme qu'elle ne connaissait que très peu, voir même pas du tout, seulement de vue.

« Ne vous en faites pas, j'ai tout mon temps, entrez dans le salon et installez-vous, je reviens avec tout ce qu'il faut. »  Elle aimait recevoir des gens chez elle et mettre les petits plats dans les grands. Elle se pressa vers la cuisine, mit l'eau de la bouilloire à chauffer, sortit deux tasses du placard, le sucre, les petites cuillères et déposa le tout sur un plateau qu'elle porta sur la table basse du salon. « Vous préférez du thé ou du café ? J'ai du chocolat en poudre aussi, mais si ça ne vous gêne pas je préfère le garder pour Maya, je ne suis pas sure que les ravitailleurs en trouvent beaucoup... » Elle imaginait que le jeune homme était tout à fait en mesure de comprendre la situation, puisqu'il avait lui aussi un enfant à sa charge. Elle s'installa quelques instants sur l'accoudoir du canapé, prête à retourner dans la cuisine lorsque la bouilloire se mettrait à siffler, signe que l'eau était chaude. « C'est le genre de détail auquel je ne prêtais pas grande attention avant d'avoir Maya avec moi... » Et c'était d'ailleurs logique. Cette enfant devrait passer avant tout le reste maintenant, et avant tout le monde aux yeux de la jeune femme.

Jayden détestait s’imposer quelque part, et présume toujours qu’une personne a toujours quelque chose à faire, alors bien qu’il accepte sa proposition, le jeune homme préfère la prévenir, lui tendre une perche. Il ne lui en voudra pas, après tout, elle avait été très généreuse, de base, à accepter de s’occuper d’Olivia. Même si elle n’était pas sa fille, et qu’il ne sait clairement pas ce que ça fait de devenir père, le jeune homme prend son rôle très à cœur. Il n’a pourtant pas réfléchi autant qu’il l’aurait voulu mais dans un pareil contexte, rien n’était normal, qu’il s’était retrouvé avec une gamine sans sa mère. C’était presque une question de vie ou de mort à ce stade. Il aime se dire que, peut être un jour, lorsqu’Olivia serait adulte, elle pourra vivre dans un monde un peu moins dégueulasse que le leur. Il ne mettait pas trop d’espoir dans cette idée mais elle avait quelque chose de réconfortant. Jusqu’à ce que la terre devienne plus vivable, sa mission était donc de veiller sur cet enfant. Après ce qu’il s’était passé, son kidnapping, le jeune homme n’avait pu que culpabiliser, bien que ce ne fut pas de sa faute. Il avait l’impression d’avoir bien foiré.

« C’est gentil, merci. » Le jeune homme s’installait alors dans le salon, retirant sa veste par la même occasion. Son regard se posait autour de lui, curieusement. Il savait qu’il y avait des chances pour que cette maison ne soit pas réellement la sienne, mais c’était un réflexe comme un autre. Il arborait un léger sourire à sa remarque concernant la petite. « C’est pas la vôtre ? Nan mais je comprends, avec un enfant, y a un million de nouvelles choses à penser, des fois c’est un peu… » Il fronça les sourcils, cherchant ses mots, sans vraiment les trouver. Oppressant, peut être ? Il haussa les épaules et se souvient de répondre à sa première question. « J’veux pas empiéter sur la réserve de chocolat en poudre, alors j’veux bien un café, s’il vous plait. » Il sourit, en tentant de graver dans sa mémoire l’idée de lui ramener du chocolat en poudre, à l’occasion. Bien qu’il ignorait encore la prochaine fois qu’ils partiraient en mission, mais après tout ce qu’il s’était passé, Jayden était certain que ça ne devrait pas tarder.

La maison était ordonnée, chaque chose était à sa place. Bien que le lieu ne lui appartenait pas et qu'elle le partageait avec plusieurs autres survivants, elle s'efforçait de maintenir cet endroit propre et bien rangé. C'était parfois un peu difficile la vie en communauté, mais l'avantage qu'elle avait, c'était de partager son logement qu'avec des femmes. Il fut un temps où il y avait eu un homme ici, mais ce n'était désormais plus le cas. Les femmes avaient pour réputation d'être plus maniaque que les hommes, pas toutes, certes, mais c'était le cas pour Cleo. Dans les pièces communes, vous ne trouverez aucun objet appartenant à l'institutrice. Sa chambre, qu'elle partageait avec la petite Maya était en quelques sortes son jardin secret. Néanmoins, lorsqu'elle avait récupéré la fillette, elle avait du lui accorder beaucoup plus de place, notamment pour des livres ou quelques jouets dont la petite fille disposait. Rien n'était évident, mais il fallait faire preuve d'une forte capacité d'adaptation, ce qui n'était pas un soucis pour la blonde. Elle fut quelque peu désorientée par la question qui venait de lui être posée. Non pas qu'elle ne connaissait pas la réponse, évidemment, mais c'était encore un sujet sensible pour elle, qui la peinait beaucoup. Elle fit cependant de son mieux pour cacher ses émotions, afin de ne pas mettre mal à l'aise son invité.

« Maya n'est pas ma fille non, elle était celle de Clark, vous le connaissiez ? »  Elle marqua une courte pause. « Je m'occupais de Maya à l'école, nous sommes très proches. C'est de cette façon que j'ai obtenu sa garde, sa maman est décédée il y a déjà quelques temps, avant Clark... » Elle marqua de nouveau une pause. C'était vraiment très compliqué pour elle, cette enfant était un don du ciel dans un sens, puisque la nature ne lui permettait pas d'être mère, mais elle lui rappelait chaque jour qu'elle n'aurait jamais la chance de pouvoir donner la vie. « Je suis très heureuse et je la considère presque comme ma fille, mais la situation est vraiment très difficile pour elle, elle n'a que huit ans elle ne comprend pas tout ce qui lui arrive... » La bouilloire se mit à siffler, et c'est ce qui la sortit de ses pensées. Elle esquissa un sourire lorsque Jayden lui demanda un café.

« Je reviens tout de suite. » Elle s'éclipsa un court instant, le temps d'aller chercher la bouilloire et le café en poudre. Elle revint dans le salon et prit place sur le fauteuil qui faisait face au canapé. Elle versa deux cuillères à café dans chaque tasse, puis versa l'eau fumante. Deux cuillères à café, c'était la quantité autorisée dans cette maison. Chacune des habitantes s'était mis d'accord, afin de ne pas vider leurs réserves trop vite. C'était néanmoins une dose suffisante pour que le café ne soit pas trop fort. « Vous êtes affecté à quel poste ici ? » Bien qu'elle connaissait plus ou moins tout le monde à Astoria, Cleo ne savait pas précisément quelle fonction ils occupaient. Elle déposa délicatement un morceau de sucre dans sa tasse et le laissa fondre tranquillement.

La maison dans laquelle Jayden était affectée subissait le même sort, des allées et venues, dues à des départs… ou des décès tout simplement. C’en était troublant, de voir à quel point la vie pouvait s’arrêter d’un seul claquement de doigts. On s’habitue à la présence de quelqu’un puis un jour cette personne ne franchit plus le seuil de la porte. Des rôdeurs, des hommes cruels. La menace grandissait de jour en jours, au point qu’il était bien difficile de se sentir en sécurité à présent. Celle que prônait Astoria, n’avait été qu’une illusion, puisqu’il a fallu d’un moment de faiblesse pour que tout s’écroule. Ils reviendront, et il n’y avait qu’à espérer que ce jour là, ils seront prêts pour les affronter… mais une fois de plus, cela viendrait avec un mot de pertes. Maladroitement, le jeune homme lui demandait si Maya était sa fille. Il ne connaissait pas son âge, se disait qu’elle aurait pu n’être qu’un bébé, puisque son interlocutrice semblait être jeune.  Alors, lorsqu’elle mentionnait Clark, avec une certaine émotion, le ravitailleur se senti coupable d’avoir posé la question. Il écoutait ses explications en hochant la tête, d’un air attentif. Finalement, ils avaient plus de points communs qu’il ne l’aurait imaginé.

« Non, je ne le connaissais pas. Je suis désolé pour votre perte... » Répondit-il, en passant une main derrière sa nuque et en se pinçant la lèvre, gêné. Il était confronté à la même situation, Olivia qui réclamait sa maman, et, lui qui était bien incapable de lui expliquer qu’elle ne reviendra jamais. Elle semblait s’être habituée à lui, à sa sœur, Reese, mais pour quelqu’un qui n’a jamais eu à s’occuper d’enfants, ce n’était pas toujours de tout repos. «  En tout cas, c’est chouette ce que vous faites pour Maya. » Ajoutait-il finalement avant qu’ils ne soient coupés par le bruit de la bouilloire.  Il opta alors pour un café, et la vit s’éclipser le temps de préparer le tout.  Il resta dans le salon, jetant un regard tout autour de lui, en attendant. Lorsque la jeune femme refit son apparition, il lui adressa un léger sourire de circonstance. « merci. » Dit-il, en posant sa main sur la tasse alors que Cleo l’interrogeait sur sa place sur le campement. Il se racla la gorge avant de répondre : « Oh et bien, je suis ravitailleur. » Dit-il en baissant un instant les yeux. Il prit une inspiration, en ajoutant :

« J’suis rentré hier, on a eu un petit contretemps. » Il sourit, plus faiblement, préférant minimiser ce qui leur était arrivé, là bas, dans l’entrepôt avec une dose d’humour. A le voir, il semblait aller parfaitement bien, mais le blond faisait illusion grâce à son pull qui cachait de nombreuses contusions.

L'agréable odeur du café se répandit dans la pièce principale dans la maison. Cleo adorait cette odeur, et la boisson en elle-même, bien qu'elle s'efforçait de ne pas en boire beaucoup pour ne pas épuiser trop rapidement le stock. Tout, dans ce nouveau monde, s'apparentait à une sorte de régime. Ils devaient quotidiennement se restreindre, ne sachant pas ce que l'avenir leur réservait. L'équipe de ravitaillement faisait de son mieux pour satisfaire tout le monde, mais il ne s'agissait pas là d'une tâche évidente, du moins c'est l'idée que Cleo en avait. Il en était de même pour les équipes de surveillance, ils mettaient leurs vies en danger pour protéger la ville, Cleo avait beaucoup d'estime pour l'ensemble de ces individus qui faisaient de leur mieux pour venir en aide de l'ensemble de la population de la ville où ils habitaient. Cleo se sentait beaucoup moins utile, en tant qu'institutrice, mais il était inconcevable qu'elle mette les pieds dehors, elle risquerait de nuire à sa vie mais aussi à celle de ceux qui pourraient l'accompagner. Elle se rendait donc utile à sa manière, en répandant sa joie de vivre partout où elle le pouvait. Elle eut un pincement au coeur lorsque Jayden lui présenta en quelques sortes ses condoléances. Elle se contenta de le remercier d'un hochement de tête.

« Clark était un homme bien, vous l'auriez vu s'occuper de sa fille, c'était très touchant. »  Jayden aussi s'était retrouvé avec un enfant sur les bras, sans rien demander à personne. « Ca ne doit pas être facile pour vous, s'occuper d'un enfant si jeune... » C'était une lourde responsabilité que d'accepter de recevoir la garde d'un enfant, il fallait se sentir prêt ou alors avoir une très forte capacité d'adaptation. Il lui fit savoir qu'il était ravitailleur, justement. Elle lui adressa un sourire plaisantin. « D'accord, c'est donc vous qu'il faut que je vienne trouver si j'ai besoin de chocolat pour la p'tite. » Il lui fit part du contretemps qu'ils avaient eu, d'où leur retard. Cleo en avait brièvement entendu parler, et elle avait cru comprendre que leur retard était lié à ce qu'il s'était passé à Astoria les jours précédents. Un traumatisme pour grand nombre de personnes, du moins ceux qui avaient survécu. C'était atroce et barbare, ils n'étaient pas préparés ou pas suffisamment à ce genre d'évènements. Cleo était bouleversée.

« J'en ai entendu parler, c'est horrible ce qu'il s'est passé. Heureusement que vous avez tous pu rentrer, plus ou moins en bonne santé... » Elle ressentait une profonde haine envers leurs ravisseurs. Elle avait été retenue en otage à la mairie, heureusement elle était saine et sauve, mais ce n'était pas le cas de tout le monde. Elle fronça les sourcils. « Je ne suis pas du genre à souhaiter du mal aux autres, mais là, j'espère sincèrement que l'on finira par devenir assez forts pour leur rendre la monnaie de leur pièce... » Elle se remit en question quelques secondes. Elle inculquait aux enfants de se séparer de tout esprit de vengeance qui pourrait les habiter par le futur, et voilà qu'elle agissait de la façon la plus opposée qui soit. « Je sais que je devrais penser différemment, et ne croyez pas que c'est le message que je fais passer aux enfants, c'est la colère qui parle... J'espère surtout que ce genre d'horreurs ne se reproduira plus, ou alors que l'on sera en mesure de se protéger... »

Jayden s’en voulait presque de l’avoir interrogée sur le sujet. Il a l’impression de lui avoir fait de la peine, et ne tarde pas, un peu gêné, de lui présenter ses condoléances. Il ne connaissait pas ce Clark, mais était certain, que comme de nombreux hommes sur le camp, il devait être quelqu’un de bien. Il l’écoutait d’ailleurs aller dans ce sens, en lui disant qu’il s’occupait très bien de sa fille. Le ravitailleur hocha la tête, d’un air entendu. Il ne voulait pas se plaindre sa propre situation, et haussa les épaules en entendant sa remarque. « ça doit pas être facile, d’être un enfant, dans un pareil contexte surtout. » Si impuissants, incapables de se défendre, dépendants des uns et des autres… et surtout, si rapidement orphelins. Des gens mourraient tous les jours, des pères et mères de famille. Lui, jusqu’alors, il n’avait personne, mis à part ses deux sœurs. Il ne dira pas qu’il ne sera pas manqué, s’il venait à mourir, mais c’était différent. « C’est vrai, que j’avais pas vraiment prévu ça, mais bon, sur le moment ça coulait de source, j’me voyais pas l’abandonner, alors faut s’adapter ! » Dit-il avec assurance. Okay, la plupart du temps, Jayden pataugeait mais espérait tout de même bien s’en sortir. Elle n’a pas l’air complètement traumatisée, cette petite, de toute façon. « J’essaierais d’en ramener, la prochaine fois. » Soufflait-il dans un léger sourire. Il savait qu’ils allaient bien finir par repartir en mission…

Après tout, celle qu’ils avaient eu avait été un échec, puisqu’ils s’étaient faits attaqués. Il préférait « dédramatiser », bien qu’en réalité, ça avait été horrible, autant pour eux que ceux qui étaient restés sur le camp. Reese lui avait expliqué ce qu’il s’était passé durant leur absence. Il l’écoutait développer sa pensée sur ce qu’elle ressentait concernant les attaques qu’ils avaient subis. Il hocha la tête, attentif, et sans doute parce qu’il rejoignait son point de vue. « C’est normal d’être en colère. » Il haussa les épaules. « Le tout, c’est de pas se laisser bouffer par la haine, et de réussir, éventuellement, à avancer. » Il donnait son avis, ça n’avait pas de prix, au mieux, elle considérerait ses propos. Jayden attrapa sa tasse et en but une légère gorgée. « J’suis reconnaissant, qu’on soit venu nous chercher, mais j’peux pas m’empêcher de me dire que si ça n’avait pas été le cas, y aurait pas eu autant de pertes. » Lui avouait-il, en baissant les yeux. Bien sûr, il était heureux qu’on l’ait sorti de cet entrepôt mais au fond, ça n’avait été qu’un piège pour affaiblir leurs défenses. « J’espère qu’on sera prêts la prochaine fois. »