there's something beautiful hiding in the shadows (j)

Son regard lorsque j'avais planté mes yeux dans les siens lors de notre première rencontre m'avait tout simplement fasciné. Il était vide, une abysse sans le moindre fond. Comme moi. Un immense cratère sans émotion. Il était brisé. Et j'ignorais si on pouvait le réparer. J'ignorais si je souhaitais que ça se produise parce que moi-même je l'étais. Ça faisait un an que j'essayais tant bien que mal de recoller les morceaux. Mais il y avait plusieurs pièces qui manquaient au puzzle. Mais même si j'essayais, je ne pourrais plus jamais être moi-même. C'était impensable. Je resterais toujours la fille qui avait tué sa famille, même s'il s'agissait de rôdeurs. Et la fille qui... Non, je ne veux même pas y penser. Lui, ça faisait longtemps qu'il était dehors. Bien plus longtemps que je l'avais été. Le garçon aux yeux bleus était et resterait dans un piteux état. C'était lamentable en fait et ce, même si ça faisait trois mois qu'il était à Astoria. Je m'en fichais. Chacun avait son rythme de croisière de toute façon. « Tu vas fixer le vide longtemps comme ça? » lui avais-je demandé. C'était le soir. Je revenais d'un raid de plusieurs jours et j'étais vidée. Tout ce que je souhaitais, c'était me réchauffer devant ce feu de camp improvisé dans une benne à ordure. « Tu veux voir mes prises? » lui demandais-je en haussant les épaules. Jorah était la seule personne à qui je parlais régulièrement dans le camp, avec James bien sur. Mais nous, c'était inflammable alors... Avec Jorah, c'était un peu plus calme. J'aimais bien sa présence en fait. Il avait quelque chose de relaxant. Sans lui demander au préalable, je m'assis en face de lui dans l'herbe et j'ouvris mon sac. « J'ai trouvé ça... ça pourrait peut-être t'intéresser? » lui dis-je, lui tendant un livre. Tout le monde savait pertinemment à quel point je me foutais des autres humains qui m'entouraient. Mais Jorah, ce n'était pas pareil. Il avait toujours toute mon attention, même dans mes jours les plus sombres. Et avec lui, je ne pouvais pas m'arrêter de parler. Une vraie pipelette.

Un jour, on lui a dit qu’il serait grand. Il le savait bien, il n’était pas stupide après tout. Pourtant, il avait écouté ce grand parler, ce grand lui expliquer. Comme hypnotisé. Au final, ce jour-là il n’avait rien appris. Mais il avait aimé l’attention qu’on lui avait porté pendant ces trente minutes. Et pendant ces trente minutes là, il avait été heureux. Véritablement heureux. Petit homme, devenu grand maintenant, il n’aurait pas cru voir tous ces atrocités, non cela lui semble irréel. Mais le pire, dans tout cela, c’est qu’il y avait participé. Activement. Lorsqu’il avait volé la vie de cet homme. Et encore pire. Sur le coup, il n’avait rien ressenti. Rien, absolument rien. Comme si le geste qu’il avait commis n’était pas terrible. Bien sûr qu’il l’était. Et pourtant, cela lui avait pris une bonne semaine avant de comprendre. Mais surtout avant que cet homme vienne le hanter. Hanter à un tel point qu’il avait du mal à discerner le réel du non-réel. Peut-être qu’au final, ce monde n’était que le fruit de son imagination, de ses rêves. Peut-être bien. Ou peut-être pas. Alors qu’il s’était visiblement perdu dans ses pensées, une petite voix vint le sortir de sa rêverie pour le reconnecter sur Terre. Une petite voix qu’il connaissait à merveille, qu’il avait tâché de ne pas oublier. « Arianne. » Sa muse, son rayon de soleil. Avant elle, il n’y avait que chaos. Pourtant, depuis qu’il la connaissait, il semblait aller mieux. Un peu, pas beaucoup. Mais mieux quand même. Étrangement, il recherchait sa présence, il avait besoin de sa présence. Elle l’apaisait, lui faisait oublier les horreurs du monde qu’il avait vu. Du moins, l’espace de quelques temps. « Oh oui, je veux bien voir ce que tu ramènes. » Il lui offrit alors un sourire. Peut-être un signe tout fait d’avance, mais il s’en fichait bien Jorah. Il était simplement heureux de la voir. Elle lui avait manqué, pendant ses quelques jours d’absence. « Tu l’as déjà lu ? » Lui si. Il l’avait déjà lu. Quelques années auparavant. Il l’avait bien aimé, ce bouquin. Il le relirait peut-être, d’ailleurs. Pour passer le temps. Pour se changer les idées. Pour penser à elle.

Je lui avais souri. Les muscles de mon visage n'étaient plus tellement habitués à ce genre de mouvement, un engrenage défaillant par moment. Mais mes épaules étaient détendus. Il s'agissait de quelque chose d'étrange parce que depuis l'apocalypse, mon corps était toujours contracté à l'extrême, pas avec Jorah. Le garçon aux yeux bleus était un peu comme un baume sur mon cœur. Je me sentais à la fois heureuse, mais également un peu égoïste. J'avais l'impression de l'utiliser pour récupérer des bribes d'un univers « normal ». Mais bon, je ne pouvais pas m'empêcher de passer un peu de temps avec lui dès que je le pouvais. Ça en devenait vital. « Oh oui, je veux bien voir ce que tu ramènes. » me dit-il, souriant. Il s'animait enfin et ça me faisait plaisir. Je ne pus m'empêcher de sourire à nouveau, mais je me concentrai sur ma tâche pour ne pas que ce dernier ne devienne béat. Je redevint sérieuse quelques instants, fouillant dans mes affaires. Je lui tendis finalement un livre. Jorah me demanda si je l'avais lu. Je lui fis un « non » de la tête. « Il est bon? » lui demandais-je. « Parce que je serai déçue d'avoir presque été mordu pour un livre qui n'en vaut pas le coup! » dis-je en haussant les épaules. Ce n'était pas vrai, mais j'aimais bien exagérer mes histoires. Il y avait bien sur des dangers à l'extérieur. J'en étais bien consciente. Avant, j'étais assez insouciante et je me mettais souvent en danger pour pas grand chose. Mais depuis Jorah, j'étais un peu plus prudente, comme si j'avais une bonne raison de revenir. Je me rapprochai de lui, m'assoyant à ses côtés, puis, je décidai de venir déposer sa tête sur ses genoux. « Les jours se suivent et ils sont les mêmes. Tu penses que ta vie serait comment s'il n'y avait pas eu cette épidémie et que le monde serait un peu moins chaotique qu'en ce moment?  » demandais-je, lasse. « je sais, ça ne sert pas à grand chose de se poser ce genre de question. Mais bon... » ajoutais-je. C'était stupide. À quoi bon rêver de quelque chose qui n'arriverait plus jamais. Mais j'avais envie d'en apprendre plus sur Jorah. J'en connaissais si peu sur lui. J'avais du mal à percer sa carapace. Le connaîtrais-je réellement un jour? « Avant, j'étais étudiante en psychologie, mais même si j'aimais mes cours, j'aurais pas été bonne. Je ne suis pas douée pour comprendre les états d'âmes des autres. Mais peut-être que c'est mieux ainsi. Garder son petit jardin secret.... »  

Le sourire qu’elle lui affichait avait ce don de l’hypnotiser. Il ne pouvait que l’observer, encore et encore. Jusqu’à ce qu’il ne disparaisse. Pour tout dire, ce qui l’hypnotisait en tout, c’était ses lèvres. Si belle et attrayante. Il s’était même surpris, à quelques reprises poser les siennes sur celle de sa belle poupée. Pensée qui l’avait troublé, comme il n’était pas vraiment habitué. « Aucun livre ne vaut le prix d’une vie, Arianne. » Aucun livre ne valait le prix de sa vie, à elle. Elle était si précieuse à ses yeux qu’il ne pouvait à présent plus s’imaginer cette vie d’enfer, sans ce petit rayon de soleil qui lui seul pouvait illuminer ses journées. Alors oui. Il était sérieux, il ne s’en cachait pas. « Ne prends plus de tels risques, je t’en prie. » Il s’en faisait réellement pour elle. Alors ce n’était pas qu’il voulait lui ordonner si ou cela, seulement qu’il voulait qu’elle sache qu’il était mieux pour elle qu’elle ne prenne pas de tels risques, qui étaient totalement inutile. Bien sûr, lire changeait les esprits. Mais la mort les marquait. « Mais oui, il est bon ce roman. » Enfin, lui il avait apprécié sa lecture. Peut-être qu’elle, elle n’aimerait pas par contre. Après tout, ils étaient assez différents tous les deux. Alors qu’il se perdait dans cet océan de pensées, il ne remarqua pas que la jeune femme s’était approchée jusqu’à ce qu’elle pose sa tête sur ses genoux. Un peu confus, il eut dû mal à détourner son attention de son visage pour écouter ce qu’elle lui disait. Et ce qu’elle en avait des choses à dire. « Tu n’avais pas trouvé ta voix, c’est tout. Et de toute manière, rien de tout cela importe vraiment aujourd’hui. » Sans tenter de se retenir, il laisse glisser ses doigts dans les cheveux de la belle, pour qu’elle cesse de se tourmenter de toutes ces questions. Il se rappelait bien qu’une de ses mères d’accueil lui faisait ça avant qu’il n’ait se coucher quand il était tourmenté. Il espérait donc pouvoir apaiser à son tour quelqu’un avec ce geste affectif. « Je… » Il n’avait pas oublié sa question initiale. Celle qu’elle avait tourné vers lui. Et il voulait lui répondre. Lui dire ce qu’il avait sur le cœur. Il allait le faire. Mais pas sans difficulté. « À vrai dire, je doute que ma vie serait mieux. » Elle ne le serait certainement pas, il le savait très bien. « Tu sais… » Non, elle ne savait pas. Comment pouvait-elle savoir ? « J’ai toujours été seul. Du plus loin que je me souvienne. Pas de parents, pas d’amis. Je ne m’en plains pas. J’aimais bien cette solitude. Mais cette vie, elle n’est plus pour moi. » Voilà ce qu’il avait sur le cœur. Ce qu’il hésitait tant à dire. Qui il était. Et à quel point il en avait honte. « Pour tout te dire, avant que l’épidémie se déclenche, on m’avait recruté pour travailler dans un laboratoire expérimental. Je faisais donc des observations sur ce qu’on me montrait. À partir de ça, je testais d’autres choses. Je n’ai jamais vraiment aimé les sciences. Mais c’était ce en quoi j’étais doué. Selon les autres. » Jamais, il n’avait parlé à cœur ouvert de cette manière. À vrai dire, il n’en avait jamais vraiment eu la chance. Ni l’envie, non plus. Mais avec Arianne, c’était différent. Il l’avait plus honte de qui il était, de qui il serait devenu. Elle avait ce don de le rendre à l’aise. De faire fuir cette part de folie qui lui rongeait l’âme. Elle était spéciale, unique même. Et les sentiments qu’il éprouvait à son égard étaient indescriptible.