who's gonna be shot today ? (barbra)

C'était comme se réveiller après une longue nuit d'hiver. La couverture épaisse m'enroulait entièrement, me gardant dans une espèce de cocon duveteux. Mes yeux me brûlaient, ma mâchoire me lançait, signe habituel d'un réveil que je détestais. Cette journée, elle n'était pas bien différente des autres. Je sentais déjà l'odeur du jus d'orange pressé, j'entendais le crépitement du bacon dans la poêle. J'entendais même le rire idiot de mes frères, et ma mère qui les réprimandait gentiment. C'était une journée habituelle. Me restait plus qu'à me lever, pour les rejoindre, et assumer cette journée. Pas particulièrement envie d'le faire, mais bon, est-ce qu'on m'a demandé mon avis ? Alors, quelques minutes plus tard, j'me retrouve affalée au côté d'Oswald, prête. Paraît qu'on va voir mes grands parents, aujourd'hui. Et même si l'idée ne m'enchante pas totalement, bah, j'suis quand même contente. Ça fais un bail que j'les ai pas vu, en même temps. Alors j'attendrais, j'attendrais qu'on parte, que j'puisse finir ma nuit dans les deux heures de voiture qui nous séparent de Mama et Pappa, puis j'passerais quelques jours sympas avec ma famille. Bon petit programme en perspective, en somme. Puis l'illusion prend fin, j'rouvre les yeux et mes parents sont parti, me laissant le soin de garder la maison. « On peut pas se permettre de fermer boutique pendant quelques jours, Barbs. » Putain, et pourquoi c'est moi qui reste là, toute seule, comme une conne ?

***

Assise en face de la porte d'entrée, le sac rempli d'armes à mes côtés, et le fusil de mon père tremblant dans mes mains, je fixe le bois abîmé, la peinture qui s'écaille. Dans ma tête, résonnent les plaintes lancinantes des marcheurs, de ces morts revenus à la vie. Pas certaine de ce que je dois faire. La morale voudrait que j'abrège leur souffrance, mais moi, j'ai pas envie. Tant qu'ils sont là, personne peut me trouver, personne peut m'arracher à cette maison, et j'ai encore une chance que mes parents me retrouvent. Je sais que je ne risque rien, je sais que je suis capable de me défendre, et que je le ferais quand le moment viendra. Mais, depuis un mois que tout ça a commencé, j'ai eu aucun signe de ma famille. Et j'peux pas me permettre de les abandonner comme ça. J'suis certaine qu'ils encore en vie, j'suis certaine que j'vais les retrouver bientôt. C'est pas possible autrement. Reste juste à attendre qu'ils se pointent.

C'est ce que mon père m'a toujours dit. Qu'si quoique ce soit arrivait, fallait qu'j'reste à la maison, et qu'ils reviendraient me chercher. Peu importe les difficultés à venir, peu importe le temps qu'ils mettraient, ils reviendraient. Alors j'continuerais d'les attendre, autant d'temps qu'il le faudra. Parce qu'ils reviendront, et j'le sais. Un coup d'œil à l'horloge de l'entrée, dont les piles usées ralentissent le fonctionnement, et j'me lève finalement. Il est temps d'manger un bout, mon estomac cri famine. Le tour de la cuisine est vite fait : il reste pas énormément d'choses. J'ai essayé d'trier au mieux tout c'qu'on avait dans l'frigo et les placards, et j'ai fais en sorte de mettre de côté tout c'que j'pouvais, au cas où j'devais quitter la maison brusquement. En revanche, j'ai pas encore fait l'tour de la cave, où je sais qu'une grande réserve de conserve se trouve. Il est p'têt temps d'aller la fouiller, d'ailleurs.

L'escalier grince, la lumière ne s'allume pas, et heureusement qu'il y a une lucarne dans la pièce, me permettant de m'y repérer dans cet endroit que je connais si peu. Mes yeux sont rapidement attirés par l'immense étagère qui se tient contre un mur, et où sont disposés une bonne cinquantaine de boîtes de conserves, de toutes sortes. À croire que mon père se préparait à une attaque nucléaire, sérieux. J'réfléchis pas plus longtemps, et j'regarde chaque boîte pour en savoir la contenance. J'suis concentrée dans ma tâche, j'note tout sur un bloc-note que j'ai ramené avec moi. Jusqu'à c'que. Jusqu'à c'qu'un geignement retentisse à l'étage, suivi de bruit de pas précipité et d'la porte qui claque. Mon carnet m'tombe des mains, et j'réfléchis pas plus longtemps avant d'monter jusqu'à l'étage. J'récupère l'fusil d'mon père, j'fais un rapide tour des pièces, mais personne. Au dessus, j'entend quelqu'un marcher, en revanche. Seul, apparemment. Ou alors, les autres se sont installés quelques parts. Pas possible que ça soit un mort, en tout cas, vu le bruit du pas. Discrètement, j'monte l'escalier, priant pour qu'il ne se mette pas à grincer, comme lorsque j'étais enfant et qu'j'allais en cachette dans la cuisine pour manger un truc.

J'me faufile discrètement dans la première pièce, l'arme braqué devant moi, mais personne. Il en est de même avec le reste des chambres, qui sont vides. La seule trace de vie, elle se trouve dans ma chambre, et c'est le lit qui est totalement défait. Pourtant, j'sais que quelqu'un d'autre est là. Quelqu'un s'trouve dans la maison, et cette personne va regretter d'être entré, c'est certain. Un bruit m'interpelle, et mon regard se tourne en direction des trois dernières portes que j'n'ai pas encore ouverte. La salle de bain, le placard et... Les toilettes. Un moment d'hésitation quant à cette dernière porte, mais pourtant, c'est face à elle que j'me place, après avoir retiré mes chaussures pour faire moins de bruit sur le sol. Mon fusil toujours braqué sur la porte, c'est ma main droite qui attrape la poignée, doucement, délicatement, avant que, en un geste qui dure un bref instant, j'ouvre la porte, relevant mon arme pour pointer la tête de l'intrus. Intrus qui se tient confortablement sur la cuvette, fut' baissé sur les jambes, un magasine appartenant à l'un de mes frères entre les mains.

« Putain, mais t'es qui, toi ? »