it ain't over 'til it's over.
Je laisse les garçons au rez-de-chaussée et monte les marches jusqu'à l'étage où Jamie se trouve encore. Nous nous sommes mis d'accord pour que les garçons et moi préparions tout ce qu'il y avait à préparer pendant qu'elle se reposait encore un peu puis s'habillait : la route va être longue mais elle est nécessaire. Nous avons eu la chance d'être prévenus que les militaires préparaient un coup bas, un coup monstrueux, et nous allons donc quitter Rosedale en compagnie d'un groupe de survivants avant qu'il ne soit trop tard. Il faut d'ailleurs qu'on se dépêche si on ne veut pas qu'ils partent sans nous. Je grimpe rapidement les marches et lorsque je pénètre à l'intérieur de la chambre, je vois Jamie assise sur le bord du lit, encore en chemise de nuit. Je fronce les sourcils et regarde autour de moi, ne comprenant pas.
« Pourquoi tu n'es pas habillée ? Il faut qu'on se dépêche. » je lui dis en m'approchant d'elle après avoir fermé la porte derrière moi.
Elle, qui relève un regard las vers moi et ce regard me fait frissonner d'effroi : il y a quelque chose dans son attitude qui me fait froid dans le dos et qui me tord les boyaux. Je ne sais pas pourquoi exactement mais c'est là.
« Parce que je ne viens pas... » elle me souffle tout bas, d'un ton aussi las que l'est son regard.
Et moi de ne pas comprendre, d'être complètement paumé face à son attitude. Comment ça elle ne vient pas ?
« Comment ça ? » je lui demande, mes mots faisant écho à mes pensées.
Elle secoue la tête.
« Je ne peux pas.
- Bien sûr que si.
- Non, je ne peux pas. Physiquement, je ne peux pas faire ce voyage Randall.
- Mais si, ça va aller. »
J'arrive auprès d'elle et me mets à genoux au sol, mes mains se posant sur ses genoux alors que je lui adresse un sourire tendre et encourageant.
« Tu peux y arriver.
- Non. Je vais ralentir tout le groupe et c'est inacceptable.
- Parce que rester ici est acceptable ?
- Oui...
- Pas pour moi. Pas pour ta sœur. Pas pour les garçons Jamie...
- Je ne vais pas mettre tout le monde en danger. Je vais mourir dans quelques semaines de toute façon.
- Non ! Pas de ça !
- C'est la vérité et tu le sais ! »
Je me tais. J'encaisse. Oui, je le sais. Ses jours étaient déjà comptés avant que l'épidémie ne fasse son apparition et l'arrêt de la chimiothérapie a accéléré la propagation du cancer. Je le sais ça. Je sais tout le reste. Je sais, dans le fond qu'elle a raison mais ça ne rend pas la situation plus acceptable à mes yeux parce qu'elle est ma femme, que je l'aime, et que je ne peux pas m'imaginer la laisser là... Je soupire.
« Pourquoi tu ne m'as rien dit ? Quand je t'ai expliqué le plan... Pourquoi tu n'as pas dit que tu ne t'en sentais pas capable ? »
Elle glisse sa main sur ma joue.
« Parce que je savais que si je te le disais, tu allais chercher un autre moyen et vous n'avez pas le temps Randall... »
Là encore je reste silencieux parce que je sais qu'elle a raison. Dans ma tête, dans mon cœur, l'idée de ce que je vais devoir faire fait doucement son chemin et ça me pétrifie sur place.
« Tu n'auras qu'à dire aux garçons et à Amy que tu m'as trouvée morte... »
Ma main attrape la sienne avec force et je viens enfouir mon visage sur ses genoux, pleurant des larmes silencieuses parce que si je m'écoutais, si j'écoutais mon cœur, j'en hurlerais et je ne peux pas hurler. Je ne le peux pas à cause des garçons qui sont en bas. Je sens qu'elle glisse sa main dans mes cheveux.
« Je suis désolée chéri... Je t'aime... »
Je relève mon regard noyé de larmes vers elle.
« Je t'aime. »
Et je me redresse pour embrasser chaque parcelle de son visage, puis sa bouche, avant de la serrer avec force dans mes bras. Nous nous accrochons l'un à l'autre, pleurant tous deux silencieusement. C'est elle qui finit par briser le silence.
« Vas-y Randall... Vas-y... »
Je reste accroché à elle encore un instant, embrasse ses cheveux, sa tempe, de nouveau sa bouche, pose mon front contre le sien et c'est parce qu'elle me pousse que je parviens à me reculer et à m'éloigner d'elle. Mes pas m'amènent bien malgré moi jusqu'à la porte. J'obéis à sa demande, j'obéis parce que je dois penser à mes garçons mais chaque pas me déchire et c'est parce que mes pas me déchirent que lorsque j'ai ouvert la porte, je m'arrête. Ma main tremble sur la poignée de la porte et j'esquisse un geste pour me retourner.
« Non. Ne te retourne pas. Pars. »
C'est mon corps entier qui tremble et j'hésite un instant avant de passer le pas de la porte et de la refermer derrière moi. Je plaque ma main contre ma bouche pour éviter le moindre sanglot d'en sortir. Je la sais là, derrière et... Et je me dois de partir. J'essuie tant bien que mal mon visage mais c'est peine perdue. Je traverse le couloir et commence à descendre les escaliers, à la fois conscient de ce que je fais et inconscient. Je ne suis pas encore terrassé par la douleur, pas encore. Je m'arrête sur les marches quand j'entends la voix de mon aîné.
« Il se passe quoi papa ? »
Je m'arrête, pose mon regard sur lui. Je vois l'horreur se peindre petit à petit sur ses traits.
« Pourquoi maman n'est pas avec toi ? »
Je détourne mon regard du grand pour le poser sur mes trois autres garçons qui me dévisagent. Mes jambes tremblent alors que je descends le reste des escaliers, les larmes aux yeux. Si je voulais essayer de les retenir, je n'y parviendrais pas.
« Maman n'est pas avec moi parce que... Parce que... » Mes lèvres tremblent. Ma gorge se noue. « Parce qu'elle est morte les garçons. Maman est morte. »
Le hurlement de mes garçons me déchirent un peu plus le cœur. Les trois plus jeunes viennent se blottir contre moi et mes mains les entourent et les serrent avec force. Mon regard noyé de larmes se pose sur mon aîné qui m'observe les yeux remplis de larmes, en silence. Il jette ensuite un regard vers les escaliers et fais un pas en avant. Ma main droite quitte mes trois autres garçons pour se poser sur son avant-bras et l'empêcher d'avancer. Il reporte son regard sur moi, je secoue la tête de droite à gauche puis nous nous observons en silence et je vois... Dans ses yeux, je vois qu'il comprend. Je vois qu'il sait que je mens. Sa main s'accroche à mon poignet et il vient poser son front contre le mien pour y pleurer en silence. Se passent ainsi quelques instants et c'est mon aîné qui me fait reprendre pieds avec la réalité, avec ce que nous devons faire. Il pose sa main sur mon épaule, je hoche la tête.
« Ecoutez-moi les garçons. »
Ils relèvent leurs visages pleins de larmes vers moi.
« Je sais que vous êtes très tristes. Moi aussi je suis très triste mais nous... Mais nous devons y aller. Maman voulait que nous partions alors c'est ce qu'on va faire. Tous ensemble, d'accord ? Et je vous promets que tout ira bien. »
Une promesse que j'ai bien l'intention de tenir.
Une promesse qui sera pourtant brisée.
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« Papa ! »
Je cours jusqu'à mes deux plus grands fils que je serre dans mes bras.
« Tout va bien ? Vous n'avez rien ?
- Non, et toi ?
- C'est bon.
- Ton visage...
- Non ce n'est rien. »
Une coupure au niveau de l'arcade que je me suis faite en protégeant quelqu'un et en me cognant contre un rocher. Rien de bien grave comparé à l'attaque que nous venons de subir. Il ne faut aucun doute qu'il y a des victimes. Victimes...
« Vos frères ! Ils sont où ?
- Ils sont restés avec Amy, ils devaient se cacher.
- Il faut les trouver ! »
Et nous nous mettons en marche pour les retrouver. C'est au milieu des blessés, cadavres, pleurs et hurlements que nous nous avançons. Les pertes sont nombreuses, très nombreuses. Nous avons subi l'attaque de plein fouet et nous avons eu beau nous défendre et prendre la vie de certains de nos assaillants, ils ont fait beaucoup de dégâts. Mon cœur se soulève à la vue de certains cadavres, davantage quand je vois Mack près du corps de son père. Je resserre mon étreinte autour des épaules de mes deux grands alors que nous continuons d'avancer. Puis, je croise un visage connu. La silhouette s'arrête devant nous, les larmes aux yeux et nous fixe. C'est là que je comprends ce que son regard veut dire. C'est là que je comprends que les nouvelles sont mauvaises. Un geste de la personne en face de nous pour nous empêcher d'avancer mais je m'y refuse. Mes garçons s'y refusent et nous dépassons la personne. La scène qui se joue plus loin brise mon cœur, le déchire, le saccage, le ravage. Mes deux plus grands se précipitent vers leur tante et vers leurs petits frères et moi je reste d'abord en retrait, incapable du moindre mouvement.
« Papa ! »
C'est la voix de mon aîné qui me sort de ma contemplation morbide. Je m'avance, pleurant sans même m'en rendre compte. C'est là que je m'aperçois que le plus jeune de mes garçons est encore en vie mais mourant à n'en pas douter. Ses frères sont près de lui et je les rejoins, me mettant à genoux avant de prendre mon petit dans mes bras. Je glisse ma main sur la plaie béante qu'une balle a fait dans son abdomen : peine perdue.
« Papa...
- Je suis là mon grand, je suis là... Tout ira bien. »
Je le vois esquisse un sourire au milieu des traces de sang sur son visage.
« Parce que... T'as promis... »
Une nausée me prend. Je parviens à sourire.
« Oui, parce que j'ai promis... »
C'est sur son sourire que son visage se fige, que sa vie s'arrête, que tout se termine. Je baisse le visage, serre fort mon fils contre moi et me mets à hurler d'horreur, de douleur... Je sens les bras de mes deux grands se refermer autour de moi et c'est ensemble que nous pleurons ceux que nous avons perdus. C'est aussi ensemble que nous nous relèverons et ensemble que nous avancerons pour faire face à ce qui nous attend. Et en ce qui concerne ceux qui nous ont fait ça... Eux...
Je me battrai toute mon existence contre moi-même pour qu'ils n'aient pas ma haine.